Laurent Joffrin, Directeur de la publication de "Libération". 17 avril 2016
"Les quelques dizaines de béotiens excités qui ont insulté Alain Finkielkraut samedi soir sur la place de la République, ou qui lui ont craché dessus, n’imaginent pas le service qu’ils ont rendu aux adversaires de Nuit debout. [...]
Qu’est ce que la démocratie – que les militants de Nuit debout veulent rénover et porter plus loin – sinon la capacité à accepter le dissensus, à protéger l’expression des idées différentes, à tolérer, dès lors qu’on reste dans le cadre des lois, les opinions adverses, seraient-elles provocantes ou bien outrageantes ? C’est précisément quand on est furieux de l’opinion adverse qu’on doit s’assurer qu’elle pourra s’exprimer, de manière à pouvoir la réfuter. Quand on passe aux insultes, aux crachats, c’est qu’on est à court d’arguments. Ou bien c’est qu’on s’en remet aux rapports de force plus qu’à la force de l’intelligence. Aveu de faiblesse intellectuelle. Nous sommes d’autant plus à l’aise pour rappeler ces principes élémentaires que nous n’avons pas ménagé Alain Finkielkraut dans Libération…
Du coup, on entend d’ici le réquisitoire des anti-Nuit debout, servi sur un plateau par sa frange irresponsable. Ainsi, sur la place de la République – la place des citoyens –, certains sont indésirables parce qu’ils pensent mal. Ainsi, alors que les sectaires de tout poil s’efforcent en général d’édicter une interdiction de parole contre leurs adversaires, on vient d’inventer une prohibition supplémentaire : l’interdiction d’écouter. Ainsi, sous la devise « liberté-égalité-fraternité », on vient de restreindre la liberté, de proclamer que certains, pour cause de déviance, sont moins égaux que d’autres, et de remplacer la fraternité par un crachat.
[...] Le mouvement a été présenté, à juste titre, comme un signe positif de repolitisation civique. S’il s’agit à l’inverse d’une repolitisation sectaire, elle ne fera pas long feu et s’effilochera, comme souvent, dans les invectives et la confusion. On aurait voulu discréditer un mouvement positif mais fragile qu’on ne s’y serait pas pris autrement."
Comité Laïcité République
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